Publié le 6 octobre 2011 | par Comité STAT

L’Affront syndical

Écrit par Ariane Bouchard
Infirmière, membre de la FIQ

Dans les deux dernières années, j’ai vécu mes premières négos et ai participé au Comité de mobilisation Verdun sur mon lieu de travail. L’une des propositions fondamentales du comité était de rassembler les travailleurs de tous les syndicats et de créer un espace commun où parler de nos conditions. Prétextant que les syndiqués de la FIQ ne peuvent pas comprendre le travail de ceux de la CSN et vice versa, les syndicats locaux se sont immédiatement opposés à l’idée. Absurde puisqu’ils faisaient à ce moment partie du front commun. Bien sûr, il ne m’a pas fallu longtemps pour me rendre compte que ce front n’avait rien de commun, fissuré qu’il était par les années de rivalité et de maraudage entre centrales. Partout la division règne. Entre exécutifs et membres, entre syndicats, je n’ai vu qu’une hypocrite solidarité par obligation qui cherche à camoufler des années de conflits, de défaites et d’éloignement. Les conséquences pour nous, travailleurs, sont graves. Passée l’excitation de quelques primes, on réalise vite que nos nouvelles conventions collectives n’ont rien changé à nos conditions qui de plus menacent de se dégrader encore.

Pendant que le syndicalisme s’enlise et que la société est au cynisme, l’État se durcit face aux travailleurs. Impossible pour nous de changer nos conditions sans une solidarité réelle, sur le plancher, dans nos syndicats, partout. Impossible également sans décider de prendre part à l’action. L’évolution du syndicalisme étant un vaste sujet, il sera ici abordé sous l’angle de la solidarité-division.

Nos syndicats ne nous appartiennent plus.

On nous répète que les syndicats sont dirigés par la base et qu’il suffit d’aller à nos assemblées générales pour exer­cer notre pouvoir, qu’ils n’attendent que ça des membres prêts à s’impliquer. Ce n’est pas aussi simple. L’existence de structures démocratiques ne garantit pas la démocratie. La bureaucratisation est l’ennemi qui guette. Ceux qui gèrent le syndicat au quotidien finissent par s’approprier le contrôle de la machine et la pyramide décisionnelle s’inverse. Notre rôle se réduit à lever la main pour faire durer l’illusion de la démocratie. Dans les dernières négociations, les centrales nous ont jeté d’en haut leur package deal de moyens de pression et les propositions ou critiques formulées en assemblées locales n’ont pas eu d’effet sur son application. On ne nous a pas invités non plus à établir nos revendications ou à nous engager activement dans les négociations, sauf dans quelques espaces bien délimités. Les centrales et représentants se sont chargés de tout ce qui avait de l’importance, n’exigeant de nous que quelques apparitions – une manif, nos assemblées – puisqu’il fallait brandir des preuves de la présence du nombre.

Les délégués syndicaux à qui les travailleurs devaient confier des mandats en assemblée sont devenus des représen­tants, des spécialistes qui pensent et agissent en notre nom sans dorénavant nous consulter. Les centrales sont là pour nous, mais non plus avec nous. Il fut un temps où, pour assurer la mobilisation, on dési­gnait sur chaque unité des travailleurs pour transmettre l’information. De nos jours la mobilisation est une tâche exclusive et bien protégée de l’exécutif. Lors d’un congrès de la FIQ en novembre 2010, un représentant a demandé au micro de réduire le nombre de moyens de pression en arguant qu’il devait tout faire seul car il n’avait pas confiance en ses membres. Personne n’a répliqué.

Cette division ne va pas sans tension. Nous sommes débordés par des problèmes — explosion de la charge de travail, pression des boss, sentiment fréquent de toucher le fond — devant lesquels nous nous trouvons abandonnés ou illusoirement soutenus sans résultats tangibles. Ces rapports brisés entre travailleurs et syndicats ne cicatrisent pas spontanément quand surviennent les négociations. Lorsque l’exécutif rentre la tête basse avant la moindre offensive en disant qu’il n’y a rien de plus à obtenir, les travailleurs sont emportés, écrasés, par cette vague de défaitisme. Le syndiqué est déjà cynique, désabusé. Comment renvoyer à la table de négos des représentants convaincus que ça ne sert à rien ? De toute façon, lorsque des travailleurs s’y risquent, les masques tombent bien vite. Voici ce qu’écrit un syndiqué de la FTQ à propos de son assemblée pendant laquelle lui et ses collègues ont refusé l’entente patronale. « Face à cette colère accumulée qui sortait d’un coup, le président a rappelé comment la game fonctionne; il a parlé du contexte défavorable, de la fausse solidarité syndicale et du maraudage, de la crise économique, etc. Il a rappelé avec raison qu’un refus de l’offre est synonyme de mo­yens de pression, car il ne croyait pas que ses membres soient vraiment prêts à faire la guerre. » La méfiance et l’animosité sont réciproques.

Chacun pour soi

Lorsque je demandais à un représentant de la CSN des nouvelles des négos, il me répondait d’aller voir la FIQ et si je m’informais en assemblés des négos des autres centrales, la réponse était « Ça ne nous regarde pas ». Front commun, vous avez dit ? Je ne me sens pas séparée du labo, des secrétaires médicales ou des techniciennes en pharmacie parce que nous ne cotisons pas à la même centrale. Je connais mieux la réalité du préposé que celle de la perfusionniste. Nous travaillons ensemble. Nos conditions sont interreliées en temps réel et si les siennes se dégradent, les miennes aussi. Les problèmes que nous vivons découlent de la volon­té gouvernementale de rationaliser les dépenses au mépris de nos conditions et des soins. Du côté des infirmières la pénurie sert d’excuse alors que chez les autres métiers on s’emploie à réduire les équipes ou allonger la liste des tâ­ches de façon à imposer une charge de travail aussi grande que s’il y avait pénurie.

Or, la pratique du maraudage pousse les syndicats à empêcher tout rapprochement entre travailleurs de diffé­rentes allégeances et cette rivalité a donné naissance à un discours du clivage bien éloigné des valeurs de solidarité propres au syndicalisme et sans lesquelles nous ne pouvons envisager de changements décisifs dans notre travail et nos vies. Ceux et celles qui travaillent dans le milieu de la santé depuis de nombreuses années, et même des plus jeunes, connaissent les tensions et désillusions que laisse derrière lui le maraudage.

Alors qu’entre nous l’esprit d’équipe est essentiel, les syndicats qui nous représentent sont des concurrents. La multiplication d’unions symboliques — Front commun, Al­liance sociale, etc — n’est que de la poudre aux yeux et ne se traduit par aucune transformation réelle des pratiques syndicales. Chacun pour soi, chacun ses intérêts. Les sourires des chefs des centrales rassemblées derrière des bannières ne s’adressent qu’aux photographes. En 2003, bien que les syndicats aient d’abord contesté la Loi 30 adoptée sous le bâillon, on a pu voir dans les années suivantes des centrales se vanter du nombre de membres arrachés à leurs rivales. « Votes d’allégeance syndicale en vertu de la Loi 30. Le SCFP-FTQ sort grand gagnant en Beauce. »  annonçait ce syndicat en 2006. « Pour le SCFP, il s’agit d’un gain net d’environ 300 membres réalisé aux dépens de la CSN. » Impossible que la conclusion d’un pacte de non-marau­dage temporaire pendant la durée du front commun soit en mesure d’effacer les traces de cette guerre permanente du membership. Par exemple, en octobre 2010, pendant notre front commun, la CSN traînait la FTQ en Cour Supérieure pour tenter d’invalider un vote des chauffeurs de la Société de transport de Laval qui désiraient changer de centrale. Nos dirigeants syndicaux peuvent-ils prétendre faire abstraction de ces jeux de coulisses et s’unir en toute sincérité pour nous défendre ?

En rassemblant exclusivement des métiers spécialisés, la FIQ obéit à une logique corporatiste. La création de ce syndicat par des infirmières en 1987 puis l’inclusion des auxi­liaires et des inhalothérapeutes suite à la Loi 30 ont réparti le pouvoir de façon inégalitaire dans le milieu de la santé. Alors que les métiers représentés par la FTQ, la CSN et l’APTS sont tout aussi essentiels au système, ce sont les membres de la FIQ, particulièrement les infirmières, qui ont le meilleur rapport de force lors des négociations et la FIQ n’est visiblement pas prête à par­tager. Le danger du corporatisme est la fragmentation du système de santé en une multitude d’intérêts professionnels. Les centrales tentent alors de protéger et d’augmenter les pouvoirs de leurs membres seulement et ce au détriment des autres professions et d’une vision globale du système de santé qui inclut usagers et travailleurs. Pensons à la querelle continuelle entre médecins et pharmaciens sur les limites de leurs rôles respectifs. Ou à la FIQ qui investit toutes ses forces dans les négociations sectorielles après avoir accepté des offres mi­nables à la table centrale, récoltant par cette manœuvre individualiste des primes que bien d’autres travailleurs auraient méritées. « Le succès de la FIQ suscite toutefois de la frustration au sein du front commun et plusieurs de ses membres tentent maintenant d’obtenir le même avantage … »  Les préposés et infirmières des autres centrales ont finalement pu obtenir ces primes – et c’est tant mieux – mais ceci encore une fois dans un climat de jalousie et de dissensions syndicales alors que ces avantages auraient pu être négociés solidairement au sein du front commun. Précisons, à la décharge de la FIQ, qu’une fois leurs propres ententes conclues, les autres syndicats l’ont laissée seule au front. Au chapitre du manque de solidarité, toutes les centrales ont livré une performance exemplaire.

Divisions sur le plancher

La rivalité des centrales finit par nous atteindre. Depuis les dernières négos, des syndiquées de la FIQ accusent les travailleurs des autres centrales de ne pas s’être tenus debout et de vouloir quand même les primes qu’elles ont gagnées. Elles refusent de voir qu’elles ont joué exactement le même rôle que ces syndiqués : comme eux elles ont suivi les pro­positions de leur exécutif. Les membres de la FIQ auraient cessé les négos plus rapidement si leurs exécutifs avaient soutenu ne rien pouvoir obtenir de plus, tout comme les syndiqués des autres centrales auraient participé à la lutte si leurs représen­tants n’avaient pas d’emblée joué la carte du défaitisme.

Notre front commun

Je refuse de voir ces games syndicales nous diviser et anéan­tir nos possibilités de changer nos conditions. Un front commun authentique ne peut commencer qu’entre nous, chaque jour. Je vais continuer à m’intéresser à la réalité de mes collègues et à m’impliquer dans le STAT avec le désir de voir éclater le cloisonnement syndical et de faire briller une vraie perspective de solidarité entre travailleurs.

1 www.comitestat.org
2 scfp.qc.ca
3 www.radio-canada.ca

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