Publié le 29 mars 2015 | par Comité STAT
L’inévitable déclin de la démocratie syndicale
Collaboration de Nicolas Lachance-Barbeau, intervenant et étudiant à la propédeutique en service social
La récente sortie des trois grandes centrales est un bon indicateur de l’état de la démocratie syndicale au Québec. On a pu voir y voir plusieurs leaders syndicaux, dont le président de la CSN Jacques Létourneau, rejeter du revers de la main toute perspective de grève illégale, et donc par le fait même, toute grève sociale. Sur la base de quels mandats ces déclarations étaient-elles basées? Allez savoir. Dès le lendemain de cette sortie, le président de la FSSS, Jeff Begley, a dû calmer ses membres les plus militants en les rassurant sur leur combativité face au projet de loi 10 ainsi que sur le respect et le soutien des décisions d’assemblée générale par le national, tout en prenant bien soin de rappeler les risques associés au déclenchement d’une grève illégale par un syndicat local.
Cet épisode est parlant : les chef-fe-s syndicaux savent qu’ils ont besoin de leurs éléments les plus mobilisés pour construire un rapport de force avec l’État et pour garder leur crédibilité devant leurs interlocuteurs et leurs membres. Ils ont donc besoin de leur laisser croire qu’il existe un pouvoir réel au sein des assemblées syndicales, et que le jour venu, au moment jugé opportun, une lutte sera possible. De l’automne 2014 à janvier 2015, ils haranguent la foule par des références au combatif mouvement étudiant de 2012 : ils parlent d’un nouveau printemps érable et de manifestations de casseroles, laissant même sous-entendre que certains d’entre eux sont prêts à aller en prison pour défier la loi. Quand leur discours trouve écho et que certains des membres les plus mobilisés parlent de mener concrètement le combat aux côtés des étudiantes et étudiants et nomment la grève sociale, la réalité refait surface. Non seulement le droit de grève légal n’existe plus dans la fonction publique, mais la perspective de mener la lutte qu’ils ont tant promise les effraie : accepter réellement la grève illégale équivaudrait à abandonner le doux confort rémunéré d’une carrière dans la bureaucratie syndicale, et pourrait même les envoyer en prison.
Même au niveau local, les militants et militantes professionnel-le-s semblent craintifs et craintives à l’idée de mener toute grève qui ne serait pas appelée par le national. Au CSSS Jeanne-Mance, l’exécutif du STT-CSSS Jeanne-Mance a récemment proposé que le syndicat «[…} rejette l’idée d’une grève sociale d’ici le 1er mai 2015[…}». Probablement conscient que cette idée était discutée par certains membres, l’exécutif a préféré aller de l’avant en proposant d’exclure d’emblée ce moyen de pression. Ils ont décidé de faire adopter leur plan d’action lors d’une tournée d’assemblées générales qui se tenaient sur les 16 sites du CSSS entre le 16 et le 20 mars 2015, sur l’heure du midi. Peut-être est-ce une coïncidence, mais cette formule a le côté pratique d’assurer la tenue de multiples assemblées simultanément, parfois jusqu’à quatre en même temps, ce qui rend très difficile l’organisation de l’opposition. De plus, aucun amendement n’est possible : les membres ont donc le choix entre adopter la proposition de l’exécutif ou se retrouver sans plan d’action. Malgré cela, la proposition de rejet de la grève sociale n’a été appuyée que par 64% des employés de catégorie 4.
La création des monstres institutionnels que sont les CISSS et les CIUSSS et la fusion des unités d’accréditation n’aura pour effet que d’éloigner encore plus les exécutifs syndicaux de leur base, rendant impossible l’organisation d’assemblées générales telles que nous les avons connues, ce qui finira d’achever la démocratie syndicale déjà mal en point.
Ce genre de pratique est monnaie courante dans les CSSS. L’argument voulant que les tournées rejoignent plus de membres peut sembler légitime ; comment, en effet, assurer une participation maximale à une assemblée générale dans un syndicat comptant des milliers de membres répartis sur 16 sites différents? Dans ce cas, l’exécutif a deux choix. D’un côté, ils peuvent organiser une assemblée générale en un seul lieu et permettre un réel débat sur les enjeux touchant au syndicat tout en recevant des mandats de la base, favorisant ainsi la démocratie participative, mais ils risquent de perdre le contrôle aux mains des quelques zélé-e-s ayant eu la possibilité et la volonté de se déplacer. Un autre choix est de faire voter un maximum de membres sur des propositions déjà préparées et approuvées par l’exécutif et ainsi garder la direction organisationnelle, mais tuer ainsi l’espace démocratique que peut être l’assemblée générale. Le choix est, malheureusement, souvent le dernier.
La création des monstres institutionnels que sont les CISSS et les CIUSSS et la fusion des unités d’accréditation n’aura pour effet que d’éloigner encore plus les exécutifs syndicaux de leur base, rendant impossible l’organisation d’assemblées générales telles que nous les avons connues, ce qui finira d’achever la démocratie syndicale déjà mal en point. Les travailleuses et travailleurs sur le plancher se retrouveront alors laissés à eux-mêmes, à la merci des gestionnaires et de leur logique de rationalisation qui risquent bien de profiter de la situation pour appliquer leurs politiques dans le mépris des règles, écartant sur leur passage les éléments jugés nuisibles.
Les centrales syndicales sont bien conscientes de cette réalité, mais ce qui les agace le plus avec la loi 10 ne semble pas être relié au simple exercice de la démocratie. Le gouvernement actuel a clairement fait savoir sa volonté de maintenir la grille actuelle du nombre de libérations syndicales par unité d’accréditation, c’est-à-dire par regroupement de travailleuses et de travailleurs d’une même catégorie de personnel dans un établissement reconnu. Cette grille plafonne actuellement à 416 jours de libérations syndicales pour toutes les unités d’accréditation de 2500 membres et plus. Avec la réforme, plusieurs unités d’accréditation, qui comptaient souvent près d’un millier de membres, vont fusionner afin de créer de gigantesques unités d’accréditation. Prenons pour exemple le CSSS Sud-Ouest-Verdun : avant la loi 10, tous les membres du personnel en soins infirmiers et cardio-respiratoires des 11 sites du CSSS se regroupaient au sein d’une seule unité d’accréditation et étaient représentés par le Syndicat des professionnel(le)s en soins de santé du Sud-Ouest et de Verdun, affilié à la FIQ. Maintenant, ces travailleuses devront partager une seule unité d’accréditation avec les membres du personnel en soins infirmiers et cardio-respiratoires du CSSS Jeanne-Mance, de l’Agence de la santé et des services sociaux de Montréal, du Centre Jeunesse de Montréal ainsi que de sept autres établissements de taille importante.
En vertu de la grille actuelle, ces nouvelles super unités devraient se contenter de 416 jours de libération, alors que leur nombre de libérations combinées avant la fusion atteignait facilement les 4 chiffres. Cela réduira considérablement le nombre de fonctionnaires syndicaux, ce que ni les exécutifs locaux, ni les centrales ne sont prêts à accepter. Cet enjeu risque de prendre une place prépondérante lors des négociations à venir. Pour les travailleuses et travailleurs de la santé et des services sociaux, c’est une bien mauvaise nouvelle. D’une part, qui sait ce que les centrales seront prêtes à laisser sur la table de négociation pour préserver ces postes de fonctionnaires syndicaux? D’autre part, si les grilles sont maintenues, comment les exécutifs syndicaux, déjà éloignés de la base, parviendront-ils à répondre à quelque besoin que ce soit avec si peu d’effectifs?
La mobilisation est déjà difficile dans la structure syndicale actuelle : elle le deviendra encore plus à l’avenir. Alors que les conditions de travail dans le réseau se dégradent à vue d’œil, les centrales ont pour principal intérêt de sauver les fondements de leurs structures institutionnelles. Dans ce cadre, il est très difficile de croire que les gens payés pour défendre les intérêts des membres accepteront, pour ce faire, de voir leurs propres avantages et leur confort réduits de manière significative. Leurs intérêts semblent converger de moins en moins avec ceux des membres.
Dans ce contexte, il n’est pas étonnant de les voir inquiets à chaque mention d’une lutte sociale qui sortirait du cadre légal, ce qui semble pourtant être le seul moyen d’apporter un réel changement. Ils ont tout à y perdre. Pour les travailleuses et travailleurs de la santé et des services sociaux, c’est maintenant ou jamais le temps de se réapproprier leurs lieux de travail et de s’organiser sur de nouvelles bases pour ébranler les structures établies, mettre du sable dans l’engrenage de la mise en place de la loi 10 et lutter pour des conditions de travail qui respectent leur dignité.
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