Publié le 9 février 2015 | par Comité STAT
La tentation syndicale
par Renaud Bisson-Terroux, paramédic
C’est touchy écrire sur son syndicat. Parce qu’il faut être solidaire envers et contre tous, que c’est ça l’adage. Pis les adages, les slogans et les symboles, c’est sacré. C’est pas mal tout ce qui reste du syndicalisme. Aujourd’hui, la valorisation des gains passés, le souvenir du messie, celui qui fait des miracles, la solidarité qui n’a pas froid aux yeux, c’est là-dessus que carburent nos luttes.
«Ne nous enlevez pas ça! On va vous le demander à genoux s’il le faut»
Ça va mal à la job.
« Oui mais la Corporation d’Urgences-Santé a reçu la commande du ministère de couper 10% de son budget, ils sont rendus à 3%. »
C’est sorti de la bouche de notre président. Claque sur la gueule. Ils ont cette info, pis nous on est pas en guerre? Voyons donc!
« Ben implique-toi. »
Oui mais comment…
« Ben implique-toi. »
Ok mais est-ce…
« Ou ferme-la. »
C’est ici que je vais en parler, de la tentation d’être délégué.
Mon histoire avec le syndicat débute il y a quelques années, 5 ans pour tout dire. Avec mon lien d’emploi, il y a les obligations qui viennent: lire la convention, s’informer des luttes passées, des luttes à venir, recueillir les histoires, me faire une idée. Je suis allé dans quasi toutes les assemblées, et à la première obstinade, en 2011, le président encourage un membre à poser la question préalable dès que je reprends le micro. Quelque chose clochait. Depuis le début de mes études, l’évidence pour moi était que j’allais m’impliquer dans le syndicat. Mais si on ne peut même plus avoir un débat en assemblée, comment on va faire?
Les photos de manifs qui tournent en boucle sur les écrans au bureau me donnent envie de vomir. Elles cachent le désintérêt réel des membres. L’exécutif garde un discours ultra-positif en nous exposant à notre lutte par procuration. Un spectacle déprimant il faut le dire. La question, je me la pose encore; pourquoi les membres ne s’impliquent pas plus à l’affaire politique que ça? Et pourquoi ne suis-je pas encore délégué? Et bien une des réponses apparaît de plus en plus clairement. Nos assemblées sont des farces (politiquement et démocratiquement je veux dire).
Mes expériences récentes aux travers des derniers conflits m’ont mis devant 3 problèmes que j’essaie encore de démêler. (1)Les intérêts de l’exécutif, (2)les structures syndicales et (3)notre vision du syndicalisme. J’aborderai les deux premiers dans ce texte.
1. Les gens de mon syndicat, les élus, ont cessé de croire que le changement viendrait de la base. Ils se battent seuls devant une armée de gestionnaires et s’ils réussissent à ralentir le massacre, ils pourront au moins s’attribuer l’ensemble de l’œuvre. Ils sont cependant les premiers à blâmer les membres de leur manque d’implication devant les échecs. Ce jeu de chats et souris les fait alterner de victime à héros, toujours de l’avant lors des rares gains. La bureaucratisation de leurs rôles a rendu l’implication des membres superflue, à la rigueur nuisible. Ainsi, faisant des plans sans vraiment compter sur nous, ils auto-réalisent leur prophétie, assurant ainsi une suite de défaites.
Malheureusement notre syndicat n’a pas vraiment de plan pour la suite des choses. Les personnes qui faisaient du syndicalisme il y a 40 ans lisaient, avaient de la vision, étaient à gauche, ils savaient exprimer des idées complexes. Il leur arrivait d’avoir des plans ambitieux, et des moyens pour y arriver. Même si je sais qu’on idéalise le passé du syndicalisme québécois, qu’il est resté une affaire de mâles autoritaires dans une bonne partie de son existence, il semble quand même que les débats et les discussions sur nos conditions alimentaient les assemblées et les lieux de travail. Aujourd’hui, tout se fait en catimini sous le couvert de la «stratégie». À quoi bon garder secret le fait qu’on change de couleur de chemise dans deux semaines?!! La peur de dévoiler ces «secrets stratégiques» est devenue une excuse valable à l’élimination du dialogue et à l’élargissement du fossé entre les membres et l’exécutif. Ça fait que le «décider ensemble», un concept perfectible mais souhaitable, à été troqué par le «follow tha leader». Cette structure hiérarchique transforme les membres qui ne disent pas oui-oui en traitre-à-la-cause. La critique n’est pas la bienvenue, il faut être solidaire et uni comme le béton. On devient aussi gris aussi.
Il ne faut pas oublier que la peur de ne pas être réélu est bien réelle chez la plupart de ces individus. Le confort de la carrière syndicale éteint l’envie du risque. J’en viens à suspecter parfois qu’il se cache une dépression immense derrière leurs beaux discours. Pour moi ils ont déjà perdu cette guerre là dans leur tête. À défaut d’être réalistes, au moins on ne les accusera pas de désertion. Dans cette perspective, on finit par avoir plus d’intérêt à rester en bons termes avec l’adversaire qui, au travers nos histoires de compromis, parle de plus en plus le même langage que nous, et inversement – optimisation, économie, redressement-.
2-Les assemblées syndicales : La joke en question
«Venez en grand nombre!!»
Je vois de plus en plus, au travers des discussions que j’ai avec les collègues, qu’au-delà de nos vies qui se concentrent vers la sphère privée, leur dégoût des assemblées vient de sa perte de sens. Comme aller à l’église et ne plus croire en Dieu, les collègues viennent plein de bonne volonté et en ressortent confus. «J’aurais très bien pu ne pas être là.»
L’espace de délibération est devenu une conférence de presse. Le vote est symbolique. On se fait expliquer les nouvelles, on pose des questions, puis on lève la main droite. C’est en allant voir d’autres types de syndicats, par exemple étudiants, que je me suis rendu compte à quel point notre exécutif runnait le shit. Si les exemples étudiants ont encore beaucoup de critiques à recevoir, il est encourageant de voir que leur méthode peut encore permettre à quelques personnes qui ne sont pas de l’exécutif d’avoir de l’initiative. De faire des propositions et de les concrétiser. Pour illustrer de quoi je parle, voici un exemple concret du comment ça se passe chez nous:
À l’assemblée du 7 octobre dernier, alors qu’on décidait des enjeux prioritaires pour la prochaine convention collective, j’avais préparé une proposition en bonne et due forme qui allait à l’encontre de ce que l’exécutif avait prévu. Pour faire simple ils voulaient négocier du salaire, moi des effectifs et des retraites. Ça faisait des mois qu’ils se préparaient à faire partie de la grosse gang qui veulent faire un printemps 2012 2.0 en appelant ça un Front Commun. Le rythme de travail atteint des sommets, on ne trouve même plus ça scandaleux de faire attendre 4-5 heures nos aînés au sol. Et nous on va aller parader dans des manifs en chantant le gouverneMENT pour du cash? J’y croyais pas, je suis intervenu.
Il s’est avéré que ma proposition, non prévue, n’a jamais pu être débattue. Vous auriez du les voir me crier après au micro parce que j’ai osé la donner papier aux membres dans la salle avant eux. Et voir aussi comment notre président a réussi à détourner ma proposition pour débattre de la sienne en premier, pour ensuite obliger la salle à faire un vote secret, rendant intraitable ma proposition, tant que nous n’ouvrions pas les boîtes le lendemain matin…
J’appris après le vote que ma proposition était devenue un avis de motion, soit une procédure signifiant que nous la traiterions dans une assemblée ultérieure. Si nos structures sont incapables de prendre une simple proposition d’un membre, ça va mal à shop.
Pour comprendre pourquoi ça se passe ainsi, il faut savoir que le présidium chez nous est aussi le président du syndicat. Il a comme rôle de modérer les débats, donner de l’information et mettre la stratégie de l’exécutif à l’avant-plan. En occupant 90% de l’espace de parole, on a beau avoir de bons arguments, c’est le volume qui gagne. Si à l’origine le présidium devait faciliter la participation des membres, aujourd’hui on a l’impression que les procédures sont détournées afin de réduire au silence poliment quiconque s’éloigne des tracés définis. Ma question reste la même: comment est-on supposé avoir envie de participer quand les possibilités de modifier même à l’interne l’avenir de nos batailles semblent sans issue?
On me rétorque souvent que j’ai juste à m’impliquer dans la structure syndicale, mais mon but ici n’est pas d’avoir moi plus de pouvoir dans mon syndicat, mais qu’on puisse participer sans avoir besoin d’un statut d’officier. On est tous capables de comprendre et de défendre nos intérêts, la mobilisation de notre masse dépend de notre potentiel de flexibilité et de création. Coincés dans nos propres structures, il est évident que notre employeur-État nous maîtrise plus facilement. On vote des mandats de pression pis on attend des mots d’ordre qui ne viennent pas. Il est clair depuis longtemps que ce n’est pas notre volonté qui guide ici notre erre d’aller.
Si ça fait notre affaire cette formule clé en main, c’est peut-être alors notre conception du syndicalisme qui nous joue des tours. Sommes-nous vraiment des clients de nos syndicats ou faisons-nous partie de leur force par delà nos cotisations?
À suivre…
Voir la suite du texte, En avoir pour son argent, publié le 22 mars 2015
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