Publié le 5 avril 2015 | par Comité STAT

Entretien avec une infirmière de l’agence

«Je suis infirmière depuis cinq ans. C’est à la fin de mon BAC que je suis allée travailler à l’agence. Avant je travaillais à temps plein dans des soins intensifs.

J’ai toujours voulu être infirmière pour aider les gens. Pour les valeurs humaines. Me surpasser aussi comme défi professionnel. C’est le plus beau métier du monde selon moi. Parce que tu es dans l’intimité des gens, tu prends en charge la personne de façon globale, au niveau bio-psycho-social.

Les débuts aux soins intensifs, puis à l’agence

Au début, quand tu commences comme CEPI, t’as zéro expérience. Quand tu sors de l’école, tu ne sais pas gérer un gros cas instable. Juste faire une tension veineuse centrale, c’est wow! On n’apprend pas à faire des pression intra-abdominale et des prélèvements via canule artérielle à l’école. Quand on sort de l’école, on ne sait rien. C’est super stressant au début. T’es responsable du patient. C’est beaucoup pour une CEPI. Tu essaies de prioriser tes soins. Quand tu n’as pas d’expérience, tout est prioritaire dans ta tête: installer le patient, prendre sa pression, le soulager, réviser le dossier. Avec le temps, tu finis par préparer les choses avant même que le médecin arrive. Mais quand tu commences, tu ne sais pas quoi dire au médecin à 3h du matin.

Quand on sort de l’école, on ne sait rien. C’est super stressant au début. T’es responsable du patient. C’est beaucoup pour une CEPI. Tu essaies de prioriser tes soins. Quand tu n’as pas d’expérience, tout est prioritaire dans ta tête: installer le patient, prendre sa pression, le soulager, réviser le dossier.

Quand j’ai commencé comme agence, j’avais mon expérience à l’hôpital A qui m’a beaucoup aidée. Tu ne peux pas commencer en agence en sortant de l’école. C’est un suicide professionnel. Il faut que tu commences dans un hôpital pour bâtir ton expérience, pour te familiariser avec le rôle d’une infirmière aux soins intensifs. Il faut que tu sois backée par tes collègues et l’assistante. Je savais qu’à l’hôpital A j’avais eu une formation correcte. Ça a été mon tremplin. Avec l’agence je me suis retrouvée dans des soins intensifs de d’autres spécialités, comme la neuro. Je n’avais pas d’expérience en neuro. J’ai appris sur le tas. J’aime les défis. Je sais que je vais être capable de les relever. J’ai dû être autodidacte. Je me suis dit: «Si toutes les autres infirmières autour l’ont appris, je suis capable». Je suis allée demander au neurochirurgien de m’expliquer la DVE. J’ai lu des livres de neuro. En agence, tu dois être autonome avec ta formation. Parce que tu n’as pas de soutien clinique, encore moins que dans le réseau public. Il y a des formations, mais tu paies tout de ta poche. Dans certains hôpitaux, j’assiste aux formations parce que c’est un choix personnel que j’ai fait, je suis allée voir la conseillère clinique et j’ai demandé de participer aux formations en leur disant que je travaillais souvent dans cet hôpital et que je voulais donner des meilleurs soins. Je ne suis pas libérée ou payée comme les autres infirmières de la place qui y assistent.

Fonctionnement du travail en agence

Mon horaire dépend de mes disponibilités, mais aussi des besoins des hôpitaux. Si je me mets juste disponible de jour et pendant la semaine, je ne travaillerai pas. Je suis obligée de me mettre disponible sur les trois quarts, dans plusieurs hôpitaux. Dans la même semaine, je fais jour, soir, nuit. J’accepte aussi des seize heures à taux régulier pour être sûre d’avoir mon temps plein. C’est très dur parce que ton corps a jamais le temps de s’habituer à ton rythme de vie. Mon corps ne sait plus quand c’est le temps de dormir, le temps de manger. Pour la stabilité émotionnelle, ce n’est pas très bon non plus.

Les autres infirmière d’agence que je rencontre, c’est semblable. On est toutes dans le même bateau. On accepte la situation parce que c’est notre paye qui en dépend. L’idée de faire son propre horaire, c’est un peu de la fausse publicité.

Pour choisir nos quarts, on va sur un site internet. Je regarde les quarts disponibles pour tel hôpital et je choisis ceux que je veux. Mais c’est premier arrivé, premier servi. Si j’arrive trop tard pour choisir mon quart, c’est too bad. Des fois l’agence m’offre un accompagnement en ambulance, et vingt minutes plus tard, juste le temps de prendre une douche, le quart a déjà été donné à quelqu’un d’autre. Je n’ai pas de délai pour prendre une décision.

Mes contacts avec l’agence, c’est toujours par téléphone. Les répartiteurs m’appellent  juste pour me dire: Valérie, on a un quart à tel hôpital, le prends-tu? C’est tout. C’est pas humain, il n’y a pas de relations.

Si je me mets juste disponible de jour et pendant la semaine, je ne travaillerai pas. Je suis obligée de me mettre disponible sur les trois quarts, dans plusieurs hôpitaux. Dans la même semaine, je fais jour, soir, nuit. J’accepte aussi des seize heures à taux régulier pour être sûre d’avoir mon temps plein.

En un mois, je fais environ 4 hôpitaux différents. Il n’y a pas une semaine pareil. Mes quarts, c’est à peu près moitié que je sais à l’avance, et moitié à la dernière minute. On est les bouche-trous. Mes quarts sont souvent annulés aussi, en général je le sais huit heures à l’avance. Le réseau public en comparaison c’est bien parce que tu as une stabilité d’horaire. Ta paie est fixe. Si l’employeur te garantit un 4/15, tu vas avoir un 4/15.

L’accueil dans les différents milieux

L’ambiance dans le milieu de la santé est très tendue, on marche sur des oeufs. Tu commences ton quart, tu ne sais pas s’il y aura un TSO (temps supplémentaire obligatoire) à la fin. Mettons que t’es de jour, vers deux heures, t’entends qu’il y a une maladie. Les appels entre la cheffe d’unité, l’assistante et la liste de rappel arrêtent pas. Ça regarde mal. C’est arrivé une fois que je suis restée en TSO. Sinon, en général, je ne fais pas de TSO comme agence. Ce sont les infirmières de la place qui restent. Les infirmières sont tellement habituées de vivre du TSO qu’elles ne le prennent plus personnel. On est arrivés à la phase où c’est rendu normal. C’est triste… C’est le coordo qui choisit avec la liste de rappel en suivant une liste, pour que ce soit équitable. En général les infirmières qui se font dire qu’elles restent acceptent sur le coup parce qu’elles ne veulent pas laisser le patient sans soins. Sauf que après dans la salle à café ce qu’on entend c’est: on n’en peut plus.

Les infirmières de l’agence, on est quand même très bien accueillies par les collègues. Elles savent que nous sommes là pour dépanner. Quand il y a une agence, il n’y a pas de TSO. C’est pour ça qu’on est bien accueillies. Surtout si comme agence, j’arrive avec mon sourire. Je sais que je travaille bien, je suis professionnelle, ma job c’est de soigner les patients, si j’arrive avec une belle attitude, c’est gagnant, j’aurai jamais de problème. À l’hôpital B, j’ai travaillé à temps plein pendant une période. Je faisais partie de l’équipe. Les infirmières, les médecins et les inhalos ne faisaient plus la différence entre moi et une infirmière régulière de l’unité.

Quand je ne connais pas les procédures, par exemple à quel moment appeler le médecin, je demande à l’assistante infirmière chef. C’est la personne ressource numéro 1. Elle connaît tous les médecins et tout le fonctionnement de l’hôpital par coeur.

Avec les patients, il y a zéro différence d’être de l’agence. Ce qu’ils veulent les patients, c’est une infirmière compétente. Quand je me présente, en leur disant que je vais m’occuper d’eux pour le prochain huit heures, que je m’informe de comment ils se sentent… c’est ça qu’ils veulent les patients. Ils s’en foutent que je vienne de l’agence.

Variations d’une unité de soins intensifs à une autre

Souvent la nuit ils coupent les préposés. Comme à C, pour économiser, ils ont enlevé le pb. Alors pendant qu’on installe les patients, personne ne surveille les moniteurs cardiaques. Et on est responsables des télémétries et des codes à l’étage. La coupure, tu vois que c’est pas de la mauvaise volonté, que ça vient de plus haut, c’est le ministère de la Santé qui veut couper, parce qu’à l’interne, les assistantes et la liste de rappel s’organisent ensemble pour tricoter un horaire, pour que la section ne soit pas trop lourde.

À l’hôpital D, on est deux infirmières pour 5 patients. Quand une est en pause, l’autre reste toute seule. Ça ne me stresse pas. Si ça va mal, je peux réveiller l’autre. Mais entre collègues, on s’organise pour ne pas se réveiller. La solidarité entre nous, c’est super important. Quand l’autre a une section occupée, on va l’aider. C’est chacun notre tour. La complicité, la chimie entre infirmières, c’est capital.

Dans les hôpitaux en région et certains à Montréal où il n’y a pas de résidents la nuit, les infirmières prennent plus de décisions. Elles ont plus de responsabilités. Par exemple un patient niveau 1 que tu vois que son état a changé, il faut discuter du niveau de soins avec la famille et avec le médecin. Des fois tout se fait par téléphone. Je ne trouve pas ça humain. Souvent je prends par ordonnances téléphoniques des niveaux de soins, je prends la responsabilité de l’écrire, mais légalement je n’ai pas le droit, ça doit être signé par le médecin. Un autre exemple: à l’hôpital E, j’admets un patient le soir qui a fait un arrêt cardiaque. Il n’y a aucun médecin ou résident à cette heure-là pour l’évaluer. Le patient va mal, il se met à convulser. Je téléphone au médecin. Je lui demande ce qu’il veut pour les convulsions et on parle du niveau de soins. Encore, c’est tout par téléphone. Dans ce genre de situations je prends beaucoup de temps à écrire mes notes, tous les appels que j’ai fait, pour me protéger légalement. Une fois partis de l’hôpital, les patrons ne reviennent pas. Ils ont passé toute la journée à l’hôpital, souvent ils restent jusqu’à 20h, et ils reviennent le lendemain. La nuit ils n’ont pas envie d’être dérangés. Ils se fient sur nous pour évaluer. Il y a des responsabilités qu’on ne serait pas supposées prendre. C’est une belle reconnaissance, mais est-on formées suffisamment?

Récemment j’ai eu un accrochage en voiture en revenant du travail. J’étais trop émotive. On avait reçu un patient avec un diagnostic pas trop clair, et il n’y avait ni résident, ni patron sur place. Le patient était tachypnéique et anxieux. Le médecin m’avait fait des prescriptions par téléphone, mais le patient a fini par avoir une fatigue respiratoire. C’est l’inhalothérapeute qui l’a intubé, sans médication parce qu’on avait pas de médecin pour prescrire. Celui de l’urgence était débordé et le patron était en route. Après le quart je n’arrêtais pas de me demander si j’avais fait ce qu’il fallait, si j’aurais dû agir autrement, si j’avais bien évalué le patient, si j’aurais du insister pour que le patron vienne à l’hôpital.»

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