Publié le 6 octobre 2011 | par Comité STAT
Adresse aux syndicats
« Les travailleurs organisés sont ceux qui savent que c’est uniquement par leurs efforts personnels, uniquement en se groupant avec leurs confrères de travail pis avec d’autres citoyens qu’ils vont être capables de combattre la dictature économique […] » – Michel Chartrand
Vous avez maintenant sous les yeux la première édition de Condition Critique, un journal écrit par des travailleurs et des travailleuses de la santé. Une question épineuse inhérente à la diffusion de ce journal concerne tous ceux qui cherchent à améliorer les conditions de vie des travailleurs : est-il encore possible aujourd’hui de lutter politiquement dans les milieux de travail ? Ceux qui croient au mensonge de la liberté d’expression garantie par la société libérale ou ceux qui n’ont jamais dépassé le stade des actions purement symboliques répondront illico à cette interrogation par l’affirmative, évacuant naïvement toute sa complexité.
STAT entame ici une expérience qui aura tôt fait de répondre en pratique à la question. Les auteur-e-s du présent journal signent leurs textes courageusement, car nous sommes conscients que pour rencontrer des travailleurs, établir le dialogue avec nos collègues et ultimement agir avec eux, il est nécessaire qu’ils puissent nous reconnaître. Or, le fait de révéler nos identités dans le cadre d’un tel exercice — lequel consiste à dire tout haut ce que bien des gens pensent tout bas — a semé l’inquiétude chez plusieurs. Pourquoi ? Parce que le système va répliquer. Dire la vérité met en danger notre emploi, la sécurité financière de notre famille et notre zone de tranquillité si nécessaire en dehors du travail, comme si une épée de Damoclès était suspendue au-dessus de nos vies privées. Cette peur qu’éprouvent les travailleurs lorsque vient le temps de résister ou de dénoncer est le signe indéniable que la menace est réelle, qu’elle est ressentie sourdement et largement. Les mesures disciplinaires prises dans la dernière année contre des employés qui dénonçaient les coupures au CSSS Jeanne-Mance n’ont pas de quoi nous rassurer. Nous avons la conviction que la société libérale cache une main de fer sous les beaux discours de ses administrateurs et que ceux-ci n’hésiteront pas à cibler nos membres insidieusement, en multipliant les notes disciplinaires, en les faisant surveiller par des collègues ou en invoquant la déloyauté envers l’employeur.
Si nous nous adressons à vous, les organisations syndicales, c’est que vous êtes légalement et historiquement les défenseurs des intérêts des travailleurs. Nous sommes donc en droit de nous attendre à ce que vous supportiez les auteur-e-s de Condition Critique en cas d’attaque et que vous ne soyez pas des spectateurs de notre répression.
Mais voilà que notre journal n’est pas tendre à votre égard et que vous pourriez bien nous laisser tomber. Certains diront qu’il aurait été plus stratégique d’éviter de critiquer les syndicats, sauf que ce serait de la pure hypocrisie. Les syndiqués n’ont plus aucune confiance en vous et vous le savez bien. Il y a eu trop de défaites dans les dernières années; nos conditions se dégradent et la crise de confiance politique vous touche durement.
Non, nous ne ferons pas semblant que tout va bien en croyant que cela nous permettra de résister aux assauts de la droite et de sauver la face de la gauche unie. La critique du syndicalisme n’est pas exclusive à la droite et le défi, à ce stade, est d’y répondre sur la gauche, ce qui implique de remettre en cause vos pratiques sérieusement. Pendant que vous engagez toutes vos énergies à redorer l’image du syndicalisme et à convaincre la société de votre nécessité, nous, syndiqués n’avons jamais été autant abandonnés dans nos milieux de travail. L’heure du syndicalisme combatif est passée depuis longtemps et les centrales, au lieu de lutter énergiquement contre la soumission de nos conditions à l’économie toute puissante, ne tiennent plus qu’à conserver leur place dans le cirque de la discussion démocratique. Vous avez votre mot à dire sur tout et de l’impact sur rien. Cette contradiction, vous la refoulez tellement profondément que toutes vos pratiques deviennent dérisoires et que vos slogans sonnent creux. Vous souriez aux caméras alors que notre univers s’effondre. Vous utilisez les termes « entente historique » pour parler d’un nouveau recul de notre pouvoir d’achat après un gel salarial de quatre ans.
Si nous voulons en finir avec notre misère, nous devons être capables de nous indigner à la fois contre ceux qui dirigent et ceux qui prétendent nous représenter, tout comme nous devons faire preuve continuellement d’autocritique. Au-delà de la critique des syndicats que contient notre journal, il y a donc la critique elle-même en tant que facteur de progrès universel. Le syndicalisme, pour se renouveler, doit regarder bien en face ses contradictions et les affronter. À une Régine Laurent1 qui affirme que la tenue d’états généraux sur le syndicalisme pourrait être interprétée comme un échec du mouvement syndical, nous répondons qu’une telle réflexion serait au contraire la condition minimum de son dépassement. Nous exigeons une autopsie du syndicalisme au lieu de son empaillement.
Alors que nos centrales ne cessent de nous parler de la démobilisation des syndiqués, il serait paradoxal de votre part de ne pas soutenir des travailleurs qui s’organisent et prennent des risques pour dénoncer leurs conditions de travail, étant ainsi plus syndicalistes que les syndicalistes eux-mêmes. Après tout, la naissance des syndicats a été l’œuvre de gens qui ont osé prendre des moyens en marge pour lutter. Vous lisez aujourd’hui ce que nous avons voulu partager de nos réalités, de nos pensées et de notre passion avec les autres travailleurs de la santé. Vous avez légalement l’obligation de nous défendre en vertu d’un article du code de travail, mais nous attendons plus de votre part. L’endroit où vous accepterez de pousser la réflexion sur les propositions de ce journal vous appartient. Il vous appartient également, délégués, de défendre les positions que les centrales vont émettre à notre égard ou de défendre votre propre analyse. Nous ne pouvons espérer que vous souscrirez intégralement à nos critiques, cependant nous vous demandons de reconnaître notre valeur — et par ailleurs celle de tous vos membres—. Rester de glace devant les attaques que nous pourrions subir confirmerait la déshumanisation de vos liens politiques avec les travailleurs. Enfin, la défense de notre liberté d’expression n’a rien d’anodin. Ce que tente STAT est significatif pour l’avenir de l’action syndicale et nous vous demandons d’être là pour contrer les atteintes à la liberté d’expression des travailleurs.