Publié le 25 janvier 2015 | par Comité STAT

Des Sit-in à l’Hôpital Jean-Talon

«L’équipe de jour, on nous appelle les écœurantes, parce qu’on ne laisse rien passer, on se tient tous sans exception, pis moi j’ai pas peur quand je reçois une lettre de ma boss parce qu’on a fait un sit-in, je vais même la voir avec la feuille et devant elle : poubelle.» – une infirmière en colère à 7h30 du matin-

7h am. Avril 2014.
Des infirmières attendent patiemment près du bureau principal. C’est beau à voir. Elles dénoncent le manque flagrant de personnel sur l’unité et la dégradation incessante de leurs conditions de travail depuis le déménagement de l’urgence.

 

«Nous c’est la première chose qu’on se demande le matin : « Il manque-tu quelqu’un? » C’est une habitude. Si on est pas assez, personne ne rentre. L’équipe de jour c’est sine qua non. Tu trouves quelqu’un ou on bouge pas.»

Pour elles, la règle est claire: on ne travaille pas dans de telles conditions, pas plus aujourd’hui que demain. Elles refusent carrément leur sort. Et avec raison! Intrigués par cette histoire, nous sommes allés interroger une autre personne de l’équipe.

«Nous c’est la première chose qu’on se demande le matin : « Il manque-tu quelqu’un? » C’est une habitude. Si on est pas assez, personne ne rentre. L’équipe de jour c’est sine qua non. Tu trouves quelqu’un ou on bouge pas.»

Elles finissent souvent par gagner, d’autant plus qu’elles ont l’appui de leurs collègues et même des médecins qui n’hésitent pas à mettre de la pression sur l’administration en appelant la DSP. Quel tour de force!

-Y a-t-il des tensions avec les collègues quand vous faites un sit-in?

«C’est certain que ce n’est pas évident, après un quart, de rester pendant que les autres font un sit-in. Mais puisque tout le monde se tient, y’a pas trop de problème, tout le monde comprend pourquoi on le fait et ils savent qu’on se tire toutes dans le pied si on laisse passer ça. Les gestionnaires essaient de trouver des remplaçants le plus vite possible, parce que même si on est pas payées quand on fait des sit-in, celles qui restent le sont à temps et demie, et ça coûte cher sur toute une équipe. Il y a bien eu les quelques fois où une infirmière terminait son 16 heures et qu’elle devait partir, mais on s’arrange au cas par cas.»

-Et les patients?

«Les patients; on ne vous oublie pas, malgré tout c’est vraiment à vous qu’on pense tout le temps en premier.»

L’équipe a accepté, pendant les rénovations de l’urgence, d’enlever un poste sur le plancher pour mettre quelqu’un au pré-triage, qui ré-évalue aussi la salle d’attente. Quand elles ont descendu vers la nouvelle urgence, il y a eu une nouvelle réorganisation accompagnée de coupures. Chez les préposés, ils sont passé de deux à un seul de nuit pour s’occuper de l’urgence et des soins intensifs qui sont à l’étage. Ils ont ajouté des infirmières auxiliaires pour augmenter le ratio patients/infirmières et tenté d’enlever 2 infirmières de jour.

 

 

 

 

 

 

«C’est irréaliste, avec les nouvelles coupures ils ont voulu passer à 12 infirmières de jour à 10, c’est là qu’on a commencé à faire plus de sit-in.»

«On est toujours en dépassement de capacité. Quand j’ai commencé il fallait passer des entrevues pour travailler à l’urgence, aujourd’hui on accueille tout le monde à bras ouverts en s’étonnant qu’ils veuillent venir travailler ici. Chez nous ils gèrent aux 8h pour faire des économies, mais une urgence c’est pas si prévisible, on sait jamais combien d’ambulances on va vraiment recevoir, s’il va y avoir des patients qui ont congé, on ne peut pas gérer à la baisse comme ça. Quand l’assistante a ‘’espoir’’ que ça se vide, ils essaient de couper une infirmière. C’est irréaliste, avec les nouvelles coupures ils ont voulu passer à 12 infirmières de jour à 10, c’est là qu’on a commencé à faire plus de sit-in.»

-Mais vous n’avez pas peur des boss?

«NON! Le matin quand on rentre pas, ils arrivent en groupe eux aussi, parfois 3 ou 4 gestionnaires des ressources humaines qu’on ne voit jamais et c’est eux contre nous, on dit à notre assistante de ne pas aller toute seule dans le bureau avec eux et quand ils voient bien qu’on se tient, parce que nous on reste en bloc, ils commencent à appeler pour remplacer celles qui manquent.»

Devant une telle solidarité, les gestionnaires n’ont d’autre choix que de se plier aux demandes des travailleuses et surtout d’éviter de prendre le risque d’envenimer la situation en brandissant la menace de suspension. Et ça, on peut s’imaginer qu’ils le savent.

«On a reçu des feuilles, mais c’est pas systématique, des feuilles de discipline qui nous disent qu’il pourrait y avoir des conséquences, qu’on pourrait être suspendues une journée. On s’en fout. On se dit à la blague qu’on serait bien contentes d’avoir une journée de congé. Ils ne l’ont jamais fait de toute façon, je crois que ça les mettrait dans le pétrin. Jamais entendu parler de congédiement non plus, on a une équipe solide, ça ne passerait pas

-Est-ce qu’on peut dire que les sit-in, ça fonctionne?

«Chez nous, il faut dire que c’est efficace notre moyen, on a recommencé à avoir notre ratio à 12 de jour, on fait moins de sit-in, et dans le fond c’est un arrêt de travail qu’on fait, c’est notre moyen ultime, c’est une grève quotidienne. On devrait faire la même chose pour les TSO, là ils essaient de nous prendre individuellement parce qu’il ont créé leur tour de rôle, mais ça ne devrait pas exister, on devrait se tenir là-dessus et juste dire non ensemble. Souvent les TSO c’est aussi un manque de prévoyance. De toute façon, quand il manque quelqu’un, c’est au quart suivant à faire un sit-in. »

Voilà donc ce qui se passait à Jean-Talon le printemps dernier. Personne n’en a parlé. Aucune analyse. Pourtant, il y a de quoi inspirer quiconque souhaite se réapproprier la réalité quotidienne de son travail. Le syndicat dépassé par sa base, assistait discrètement à une lutte qu’il ne pouvait légalement appuyer. Une lutte qui a émergé hors du syndicat car impossible de compter sur eux pour affronter nos conditions. L’audace des écœurantes pourrait être le prélude à de plus grandes entreprises, mais tout porte à croire que ce n’est pas le cas. On a acculé cette équipe dans un coin et c’est plus par survie qu’elle se débat. Le combat quotidien qu’elles mènent a quelque chose de remarquable, mais il est malheureux de constater qu’il s’arrête bien là. Sans organisation réelle ou des demandes proactives, elles risquent de se faire enlever tel ou tel acquis dès qu’une brèche se fera sentir. Cette critique que nous sommes en train de formuler n’a pas comme objectif de moraliser ces travailleuses. Nous souhaitons à partir de leur expérience courageuse nous questionner sur ce qu’une telle action entre collègues implique, exige, sur comment s’organiser pour que les gains soient durables et élargis au delà de l’éteignage de feux.

Le risque que ces travailleuses ont pris est un bel exemple de la capacité des travailleurs et travailleuses à se révolter contre l’ignominie des coupures. Même si elles ont eu l’impression le printemps dernier de faire quelque chose d’ordinaire, les écoeurantes ont fait surgir une solidarité qui fait peur à plus d’un dirigeant. Espérons que nous saurons dépasser l’admiration et se servir de leur exemple comme tremplin pour une prise en main de la contestation dans nos milieux. Comité STAT

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