Publié le 27 mars 2011 | par Comité STAT
Lettre d’une infirmière de l’urgence (de l’hôpital de Verdun)
Ce texte a été distribué à l’hôpital de Verdun en avril 2011.
Le 18 février dernier, l’article ≪ Solution miracle aux urgences a Verdun ≫, paru dans la Presse, vantait les nouvelles mesures administratives mises en place dans l’hôpital afin de désengorger l’urgence. Ce texte est très loin de la réalité que vivent les travailleurs et les patients sur le plancher.
Surcharge de travail, manque de personnel, temps supplémentaire, recours aux agences, stress et épuisement ; voici les arias quotidiens des travailleurs en sante. Pour les patients, cette surcharge globale de travail signifie une perte de qualité des soins, dont les temps d’attentes insensés en sont le signe le plus criant. Pour se soustraire aux pénalités imposées par l’Agence de la sante et des services sociaux, plusieurs urgences en viennent a cacher les patients dont le séjour s’éternise en les transférant dans des couloirs ou dans des unités de débordement non adaptées.
L’hôpital de Verdun n’échappe pas a la règle et nous nous questionnons sur les motifs d’une sortie médiatique qui glorifie l’état des lieux. Nous sommes déçus qu’il n’y ait eu aucune volonté de valider le ≪ miracle ≫ auprès des travailleurs ou des syndicats avant la parution de l’article. En tant que travailleurs, nous nous devons de prendre la parole afin de montrer la réalité du terrain qui n’est visiblement pas celle de nos supérieurs. Dans cette optique, nous assurons aujourd’hui la diffusion de cette lettre qu’une infirmière de l’urgence nous a fait parvenir par courriel.
Comité de mobilisation Verdun
Le miracle de l’unité transitoire
Suite à la lecture de l’article paru le 18 février 2011 dans La Presse, écrit par Ariane Lacoursière, je me suis questionnée sur la pertinence et la justesse des informations expliquant la « Solution miracle » à l’urgence du Centre Hospitalier de Verdun. Après avoir consulté mes collègues de travail, je tenais à exposer une contre-argumentation qui fait pratiquement l’unanimité parmi le personnel soignant de l’urgence. Ce faisant, la situation pourra être rectifiée. Je tiens tout de même à souligner que la situation n’est pas si catastrophique, nous profitons de conditions de travail avantageuses. Ce qui m’irrite le plus c’est de se faire du capital, d’obtenir du mérite en véhiculant des faussetés. Je m’attarderai donc à exposer tous les mensonges mentionnés dans l’article et je les corrigerai selon la réalité du terrain.
#1) Selon Dr. Barriault, les patients hospitalisés sont rapidement déplacés aux étages, selon le service auquel ils appartiennent, sous la supervision du personnel et des médecins de ce service.
Rectification : Malgré ses bonnes intentions, le chef de l’urgence ne fait que répéter ce que les autres cadres lui ont mentionné. Ce n’est pas à l’étage que ces patients sont transférés, c’est à l’unité de débordement : une salle où l’espace entre les civières est encore plus restreinte qu’à l’urgence, où il n’y a qu’un téléphone et une toilette pour 12 patients (allo prévention des infections!!!) et où le ratio patients/personnel soignant est encore plus élevé qu’à l’urgence, ce qui occasionne des risques d’accidents. De plus, ce n’est pas le personnel des services concernés qui soignent ces patients mais le personnel de l’urgence couvrant le débordement. Dans les cas exceptionnels où les patients sont dirigés directement vers un étage supérieur, comme l’a mentionné le docteur, c’est parce qu’ils s’apprêtent à dépasser la sacro-sainte limite de 48 heures de séjour à l’urgence. Ainsi, au risque de subir des pénalités, certains patients sont stationnés dans les corridors des étages, sur leur civière, en attendant qu’une chambre se libère, et ce même en plein milieu de la nuit.
#2) Selon la directrice du programme de santé physique, des infirmières gestionnaires de cas ont été embauchées pour alléger la tâche du personnel soignant en planifiant les congés.
Rectification : Certes, du personnel supplémentaire a peut-être été ajouté au quart de travail de jour et ce la semaine, mais je peux vous affirmer sans l’ombre d’un doute que les congés ne se donnent pas tous de 8h00 à 16h00, du lundi au vendredi. Je serais curieuse de connaître les statistiques précises, mais une chose demeure, les employés des quarts de soir et de nuit ne profitent aucunement de ces ajouts au personnel. De cette façon, oui le personnel de jour profite de ces investissements, mais ceux des autres quarts doivent assurer toutes ces tâches. En passant, les médecins ne planifient AUCUNEMENT les congés, ils demandent des examens et des rendez-vous supplémentaires, mais ce n’est certainement pas eux qui vont les dénicher!
#3) Auparavant, chaque infirmière s’occupait de six patients. Maintenant, chacune travaille avec une auxiliaire pour superviser 10 patients, selon Jean-François Thibault, infirmier-chef.
Rectification : Encore une fois, on suppose ici que l’urgence de Verdun ne fonctionne que de 8h00 à 16h00. Je ne sais pas si c’est une omission volontaire, mais l’intégration des auxiliaires s’est fait beaucoup plus difficilement sur les autres quarts. Tandis que la charge de travail est de 7 patients de soir et de 9 patients pour les infirmières de nuit, à l’arrivée des auxiliaires, notre chef a augmenté le ratio à 12 patients de soir et 14 de nuit. Suite à une estimation (en considérant que l’infirmière travaille 7 heures sur un quart de 8) l’infirmière de soir qui pouvait consacrer une heure (60 min) par patient/quart, voit le temps alloué par patient être réduit de moitié passant de 60 à 35 minutes. Pour la nuit, on passe d’environ 47 minutes par patient/quart, à 30 minutes. Il est totalement faux d’affirmer que l’infirmière-auxiliaire permet de rattraper ce temps perdu, car d’un côté en optimisant les soins, il est possible d’aller voir le patient qu’une seule fois afin de faire plusieurs soins, de l’autre, plusieurs tâches inhérentes à l’infirmière ne peuvent être déléguées à l’auxiliaire.
Après plusieurs mois et un tollé généralisé chez les infirmières des quarts atypiques, le chef d’unité a finalement réduit le ratio pour l’ajuster à celui de jour. Toutefois, et c’était à prévoir, l’intégration des infirmières fraîchement graduées a été d’autant plus difficile. Ces dernières passaient de 3 ou 4 patients en stage à 10 patients à l’urgence, tout en ne considérant pas les congés ou transferts, ce qui peut faire monter le nombre de patients vu par l’infirmière à 15 ou 20 par quart. Comme vous pouvez le constater, la situation n’est pas si rose!
#4) Toujours selon l’infirmier-chef, les horaires de travail ont été modifiés pour attirer des candidates permanentes. Les quarts de travail sont maintenant de 12 heures le week-end, ce qui fait en sorte que les infirmières ne travaillent maintenant qu’une fin de semaine sur trois.
Rectification : Lorsque ce changement a été apporté, plusieurs infirmières y ont adhérées et avec raison, surtout lorsque celles-ci ont une vie de famille. C’est alors que l’hôpital a fait la promotion de ce changement et attirait de nouvelles candidates de cette manière. Étant donné que ce changement est volontaire, plusieurs problèmes sont survenus. Par exemple, si quelqu’un décide de faire un douze heures de nuit, il faut l’équivalent de jour. Toutefois, ce n’est souvent pas le cas, de telle sorte qu’il manque régulièrement une infirmière pour faire un 4 heures de 16h00 à 20h00 ou de 20h00 à 00h00.
Changement d’horaire révolutionnaire? Pas du tout, allez voir ce qui est fait au CUSM : c’est ce qu’on appelle adapter les horaires aux besoins des employés.
#5) Les heures supplémentaires obligatoires ont aussi été éliminées.
Rectification : Je ne sais pas exactement de quelle époque Jean-François Thibault parlait, mais depuis déjà plusieurs années que je suis à l’emploi de Verdun et JAMAIS, je n’ai vu une infirmière, du moins à l’urgence, être forcée à rester. Cette politique à Verdun est vraiment admirable et les employés apprécient énormément, c’est ce qui fait en sorte que l’ambiance de travail est bonne. Mais de grâce, n’allez pas croire que c’est suite aux récents changements que les TSO ont disparu de Verdun. C’est comme si un PDG d’entreprise affirmait qu’après plusieurs changements organisationnels dans sa compagnie, il avait réussi à abolir l’esclavage! Il faudrait se mettre au diapason, l’esclavage, tout comme les TSO à Verdun, ça fait très longtemps que ça n’existe plus!
Je terminerai ce texte en vous parlant de l’allégorie de la garde-robe. Vous savez lorsqu’on reçoit de la visite à la maison et qu’on réalise qu’on n’a pas le temps de faire un gros ménage, on prend ce qui paraît le plus et on le cache dans la garde-robe. Ainsi, la visite arrive devant un salon et une salle à manger en ordre, mais on ne leur fait certainement pas visiter la garde-robe! C’est un peu ce qu’on fait avec les patients qui frôlent les 48 heures de séjour à l’urgence. On les prend et on les envoie dans le bordel qu’est l’unité transitoire. L’urgence est belle, un miracle s’est produit! Mais non, le problème n’a seulement qu’été déplacé ailleurs. Une anecdote pour conclure : plusieurs patients n’ont vraiment pas apprécié leur expérience à l’unité de débordement. Étant donné que la plupart de patients reviennent à l’hôpital, s’ils ont besoin de se faire hospitaliser à nouveau, ils refusent d’aller dans ce débarras, de telle sorte que les médecins traitants spécifient sur la demande d’admission : PAS d’UT! Alors on est en droit de se demander quels patients sont toujours envoyés dans la garde-robe : les néophytes et ceux qui ne s’en rendent pas compte : confus, désorientés, etc. Imaginez l’ambiance!
Une infirmière qui vous veut du bien
Perspectives
- Considérant que ≪ Normalement, cette unité de débordement n’est ouverte que très rarement, mais depuis septembre 2010, elle est presque toujours en fonction.≫(citation extraite de ≪ Solution miracle aux urgences a Verdun, Vérite ou mensonge ? ≫, 2 mars 2011, par Charles Boulanger et Claude Deschenes pour le Syndicat des profesionnelles en soins du CSSS Sud-ouest/Verdun)
- Considérant que la situation de surcharge dans les urgences n’est pas à la veille de se régler;
Nous croyons que l’existence de l’unité transitoire devrait être connue et reconnue et qu’en conséquence elle soit aménagée et gérée de façon a être sécuritaire et décente pour les patients et le personnel.
Dr Barriault a raison lorsqu’il affirme dans l’article qu’ ≪il ne faut pas seulement demander plus d’efforts au personnel soignant. Il faut aussi lui donner plus de moyens.≫