Publié le 6 octobre 2011 | par Comité STAT
La déshumanisation des soins en obstétrique
Écrit par Martin Parent, infirmier
Il est deux heures du matin, le département déborde, trop de patientes et trop peu d’infirmières. « Vous n’avez qu’à vous réorganiser. » Soit, nous prenons donc en charge plus de parturientes que nous le devrions. Nous surveillons plusieurs mères à la fois, plusieurs bébés à naître. Nous courons d’une chambre à l’autre en disant : « Excusez-moi madame, nous ne pouvons pas vous administrer de péridurale, il n’y a pas assez d’infirmière pour effectuer la surveillance que cela implique. Non madame, je ne peux pas non plus rester avec vous pour vous aider à respirer, j’ai trois autres futures mamans qui m’attendent… »
Ah, mais qu’à cela ne tienne, nous aurons bientôt de nouveaux moniteurs pour effectuer le monitoring fœtal électronique à distance, loin des patientes, loin de leurs besoins, loin de la souffrance, bien au chaud dans notre poste des infirmières ultramoderne…
Les soins obstétricaux changent, comme le reste du système de santé, à une vitesse phénoménale. Les études démontrent une évidence qui sera réfutée dans deux ans suite à une étude plus poussée. Les recommandations professionnelles suivent donc les mêmes aléas de la vie. Chose certaine, ces directives cliniques sont naturellement basées sur des résultats probants, une étude approfondie des divers facteurs organisationnels et cliniques qui mènent de façon directe à des meilleurs soins et un niveau de sécurité plus élevé. Une recommandation1 de la Société des Obstétriciens et Gynécologues du Canada (SOGC) stipule que les soins infirmiers devraient être individuels durant la phase active du travail en ce qui a trait à la surveillance du bien-être fœtal. Certes, les centres hospitaliers sont libres de suivre ou non cette suggestion, mais quand les experts se prononcent, ne devrions-nous pas les prendre en considération ?
Voici l’idéal : un futur père se présente avec la future mère et leur futur bébé à l’hôpital. Maman passe au triage, est vue rapidement et évaluée selon les critères les plus stricts pour établir un diagnostic juste. Bébé s’en vient, c’est un travail actif. La famille est admise dans une chambre et reçoit dès lors des soins obstétricaux adaptés à sa situation. Elle reçoit aussi des soins infirmiers qui lui permettront d’apprivoiser la douleur, de favoriser une approche physiologique au travail obstétrical. L’infirmière demeurera avec elle, la supportera, la guidera et s’assurera que futur papa prend sa place en tant qu’élément essentiel à la réussite de l’accouchement. Que la patiente accouche ou non avec une anesthésie ne change rien, elle reçoit le même support et jouit de la même surveillance. Hop, bébé arrive et tout se passe pour le mieux. La famille a été accompagnée par des êtres humains qui avaient à cœur le bon déroulement de cet épisode tellement important.
Voici la réalité : la famille se présente au triage. Toutes les civières sont pleines, le département est effervescent, le personnel court dans le corridor, crie des informations d’une chambre à l’autre, faisant fie de la confidentialité au profit de l’efficacité. La famille attend donc d’innombrables minutes avant de voir un professionnel, qui évalue la situation à la va-vite. « Vous semblez en travail, madame, mais nous n’avons pas de chambre pour vous. Peut-être que si vous alliez vous promener un peu, nous aurions une place un peu plus tard… » La famille quitte donc et fait le tour de l’hôpital, alors que les contractions utérines sévissent de plus en plus Elle rencontre des infirmières qui quittent en pleurant après seize heures de travail consécutives. La future mère ne sait pas comment contrôler sa respiration, la douleur est tellement intense. Le conjoint est désemparé, ne sait pas trop quoi faire, tant pour le confort de la maman que le sien. Finalement, une chambre se libère. Mais là, pas encore d’infirmière… Quelqu’un de différent vient écouter le cœur du fœtus de temps à autre, en disant « ne vous inquiétez pas, on s’occupe de vous ! » Les contractions sont intolérables, la patiente hyperventile, vomit, n’a plus de position. Personne ne l’accompagne. Le médecin passe, examine le col, puis repart. Au moins, il s’est nommé et s’est informé un peu … Maman veut une péridurale, le médecin est d’accord. Branle-bas de combat, une infirmière devra rester au chevet, mais aucune n’est disponible. Autre délai. Bientôt, lui dit-on. « Respirez, madame, l’anesthésiste s’en vient… » Tout va trop vite. L’accouchement se fait dans le froid, l’impersonnel. Cette expérience devient seulement un gros geste technique de plus pour une équipe de travail débordée. Au suivant. C’est une réalité qui, sans être ce portrait 365 jours par année, survient beaucoup, beaucoup trop souvent.
Le fossé qui sépare la réalité et l’idéal est en fait l’ensemble des conditions de travail des professionnels en soins obstétricaux. La surcharge de travail, les heures supplémentaires, le manque constant de personnel. Pas le choix, il faut couper quelque part. Mais où ? Certes, nous devons assurer un maximum de sécurité pour la clientèle, offrir le service à tout prix, peu importe le contexte. Les infirmières se priveront de vacances s’il le faut, mais la clientèle aura des soins. Mais se questionne-t-on jamais sur la qualité des soins ? Est-ce que quelqu’un, quelque part, se demande si avec un personnel épuisé, dépassé, terrassé, les soins peuvent encore être considérés efficaces ? Qui se demande comment seront soignées les familles ?
Comment briser l’inertie qui englue les travailleurs ? Nous détenons la force du changement, bien au fond de nous. Certains auront de la difficulté à se prendre en main, mais si nous ne le faisons pas, personne ne le fera à notre place. Le syndicat se dit impuissant, puisqu’il ne s’agit effectivement pas d’une clause de la convention collective qu’il leur faut défendre. L’employeur dira qu’il engage le plus de personnel possible, mais que ça ne suffit plus. Alors debout ! Levons-nous, gardons la tête haute et droite ! Nous sommes une légion entière, nous avons le pouvoir de faire bouger des montagnes. Tout n’es qu’une question d’organisation, de cohésion, de volonté. Dans le milieu obstétrical, il ne nous reste qu’à nous insurger, ne plus accepter une déshumanisation aussi malsaine. Nous devons à tout prix rendre ses lettres de noblesse à cet événement qui se veut unique pour les familles et nous le ferons à grand coup de qualité! Nous allons montrer que nous pouvons nous mobiliser, que doivent cesser les solutions innovatrices de gestionnaires ministériels dans leurs bureaux climatisés, confortablement installés sur leur chaise en cuir : loin des patientes, loin de leurs besoins, loin de la souffrance. Il n’en tient qu’à nous.
1 Les directives cliniques sont accessibles sur le site internet de la SOGC au www.sogc.org.