Publié le 2 septembre 2014 | par Comité STAT
Étrangère à ma profession
par Corinne Boudreau, infirmière
D’une énergie de soigner
Une surcharge, est devenue
Un danger s’accroît
Devenu viral, il se répand
Le temps pèse, il manque
Indigence de ressources
Ébènes semblent les issues
Milieu de travail souvent chaotique
Matériel désuet, absent
Certains instants, aucun contrôle
Impossible de gérer
Un patient, l’arrière décor
D’une boîte de Pandore
Complexité humaine, il est
Demandant du temps, du cœur
Humain physique et sentimental
Un récit, un conte
Un personnel fixé, par le temps
Celui dérisoire en voyant la tâche
Il en perd le fil, l’essentiel
L’essence de l’histoire
Malgré eux, malgré nous
Un manque de temps
De soutien, d’écoute
Pause.
Moment de sommeil
Un repos, calme artificiel
Baignant dans les affres du quotidien
Face à l’écueil, un personnel
Déchiré dans ses émotions
Épuisé dans ses solutions
Devenu vicieux, un cercle
Un écœurant découragement
Inattendu, en chacun de nous
De la fin, du début
D’un souffle, il manque
Absence de soutien, d’armature
Suffocation collatérale
Un changement, il doit
Essoufflement qui me tue
À petit, à grand déploiement
Je suis une jeune infirmière. Je travaille dans une urgence depuis quelques années. Cette profession, je l’ai choisie pour son côté humanitaire. Lors de mon choix de carrière, il m’était indispensable de me diriger vers une profession où il y avait des relations humaines. Le métier d’infirmière était parfait pour moi, jusqu’à ce que je quitte mes livres d’école pour me lancer dans la réalité du système de santé. Comme plusieurs personnes qui travaillent dans le milieu de la santé, certains jours sont plus difficiles à encaisser. Le manque de temps et de ressources m’étouffe souvent. J’ai écrit ce poème à un moment de ma vie où je ne savais plus si j’allais continuer dans ce domaine. Je me questionnais. Je me demandais si j’allais aimer ce travail encore longtemps. J’avais peur lorsque je ressentais de l’épuisement, moi qui débutais dans le métier.
Ce que je trouve surtout dur, c’est la déshumanisation des patients qui s’installe tranquillement. J’entends par là que le patient devient parfois un numéro, que l’on ne soigne que le physique au détriment du psychologique. Il y a des moments comme ça, un temps où l’on ne trouve pas d’instants pour soigner globalement. Pour moi, l’humain n’est pas qu’un simple livre de biologie. Le temps manque partout. La quantité prend le dessus, au détriment de la qualité.
Oui, une fracture existe dans mon milieu de travail. Ce n’est pas la tâche qui me dérange mais ce qui l’entoure. Plusieurs problèmes majeurs en font partie : surcharge de travail, manque de personnel, violence verbale, manque de matériel, travail supplémentaire obligatoire. Ces embûches, elles m’amènent à changer d’attitude, parce qu’elles reviennent quotidiennement. Je suis parfois désillusionnée de l’idéologie à laquelle j’adhérais lors de mes années d’études.
Alors arrivent les remises en question. Parfois, je ferais un autre métier. Je me sens étrangère à ma profession. Je suis ambivalente malgré l’amour que je porte à ma profession. Je crois que c’est normal. Oui, c’est la moindre des choses de se questionner lorsqu’il y a une dichotomie entre le travail à accomplir et les moyens que l’on nous donne pour y parvenir. Avec le temps, je m’habitue aux montagnes russes émotionnelles que je vis au travail. J’essaye de passer au travers, de me dire que ça pourrait être pire. Que je pourrais faire un métier que je n’aime pas. C’est ma façon de continuer, de trouver la force.
Il y a des jours où je me lève et je n’ai pas envie d’aller travailler, et parfois c’est l’inverse. Je n’ai pas choisi une profession facile, mais je l’ai choisie. J’ai fait un choix. Je continue parce que j’aime être en première ligne. Je peux faire la différence, et c’est sur cela que je me recentre lorsque j’ai envie d’abandonner. Comme plusieurs travailleurs et travailleuses de la santé, je vais probablement vivre toute ma vie avec cette ambivalence.
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