Publié le 22 septembre 2012 | par Comité STAT

Livre: Toyota; l’usine du désespoir (journal d’un ouvrier saisonnier)

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Avec beaucoup de sensibilité, ce journal nous entraîne dans la réalité quotidienne des salariés de Toyota dans les années 1970. Kamata Satoshi nous raconte qui sont ses collègues et à quoi ils aspirent. Il raconte les longues heures de travail à la chaîne et l’épuisement. Débarqués chez Toyota avec l’idée d’y gravir les échelons, très peu réussissent pourtant à tolérer la cadence. Kamata arrive à exprimer en détails, mais simplement, comment l’entreprise modifie le travail sur la chaîne de façon à produire toujours plus. Sans que les principes Toyota ne soient énoncés, nous pouvons voir comment ils se vivent de l’intérieur de l’usine et leurs impacts sur les individus. Une lecture des plus intéressantes.

Extraits:

«Pour retrouver sa position d’origine il faut dépenser une énergie formidable et si l’on fait une maladresse la chaîne s’arrête. Mais si la chaîne s’arrête, les heures de travail vont s’allonger et il y aura des heures supplémentaires. C’est ainsi que, uniquement pour ne pas être en retard, pour ne pas causer d’ennuis aux copains, on est amené à s’y mettre de toutes ses forces. C’est ainsi aussi que, suivant les prévisions, la production peut augmenter. Mais nous, l’évasion, on ne pourra jamais la réussir.»

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«Ça fait donc deux semaines que je travaille, mais quand je reviens au foyer je ne fais que dormir ; j’ai décidé de ne pas penser aux questions du travail. Comme je suis crevé, je n’en ai plus la force et, quand je me mets à le faire, je ressens une fatigue encore plus intense…

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Voyant que la lampe de secours s’est allumée, le chef d’équipe accourt et me dit, d’un air ahuri : « T’as pas encore appris, regarde bien ! » Se tournant vers moi, il me montre alors ostensiblement comment faire et, soulignant l’endroit précis où il faut s’appliquer, il accompagne son geste d’un « voilà, c’est ça » sans réplique.

La façon de faire, je l’ai déjà apprise et je pensais seulement que je n’arrivais pas à suivre la vitesse, mais quand il m’a dit : « t’as pas encore appris », ça m’a fait un choc. Ce verbe apprendre finalement, délaissant toute logique, ne peut vouloir dire que s’habituer, s’accorder à la vitesse de la chaîne.»

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«Avec lui, ça fait donc deux apprentis qui avaient l’espoir de devenir titulaires qui disparaissent. Les gars qui ont déjà travaillé ailleurs n’arrivent vraiment pas à s’habituer ici. Ne restent que ceux qui ont une santé solide, une volonté à tout épreuve, une résistance confirmée, une certaine habileté. Ou plutôt non, c’est ceux qui s’en vont qui ont raison, ils veulent rester des hommes et ceux qui restent sont peut-être des anormaux. Ceux qui, en tant qu’hommes, conservent une certaine fierté, ceux qui ne peuvent pas supporter d’être robotisés, ceux qui sentent qu’on les oblige à renoncer à tout ce qu’ils sont pour suivre une vitesse, un rythme, un ordre des opérations fixés d’avance, ceux qui sentent qu’on leur interdit même de penser et qui jugent que c’est là une vraie déchéance humaine, ceux-là s’arrêtent les uns après les autres, n’est-il pas vrai ?»

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«Mon voisin Hagiwara, en reprenant son souffle, murmure : « Quand la chaîne s’arrête, j’ai la tête qui sonne. »

Je rentre avec Ogi, l’apprenti, et le taquine en disant : « Dis donc, jusqu’à la retraite, t’en as encore pour trente-neuf ans », et il me répond en souriant comme toujours : « Je serai mort avant ! »

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«En rentrant chez lui, il peut voir, empilées dans un camion en route vers la chaîne d’assemblage, sortant tout droit de l’atelier de peinture, les pièces qu’il a touchées de ses mains durant une minute et quelques secondes. Mais il les regarde avec froideur et indifférence. Les boîtes de vitesses se sont métamorphosées au point qu’il est incapable de reconnaître son œuvre, ce qu’il y a mis de lui-même. Il a alors l’impression que ce n’est pas lui qui a fabriqué ces pièces : elles lui font ressentir seulement l’immense fatigue qui a détruit en lui quelque chose de très important et qui l’a usé un peu plus.»

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